lundi 28 septembre 2015

Première lecture: Marcher contre la tempête

Martine Delvaux, Blanc dehors, Héliotrope, Montréal, 2015, 186 pages. ROMAN.

Ceux qui me connaissent doivent être étonnés que je ne consacre pas ce premier compte rendu à un roman d'Élise Turcotte, mon écrivaine modèle, celle dont je relis et relis l'œuvre depuis dix ans maintenant et à qui je consacre les recherches et la rédaction d'un mémoire de maîtrise depuis un peu moins longtemps...


Éloge préliminaire
      Ce premier billet, je le consacre à l'écriture de Martine Delvaux, que j'ai d'abord connue à l'UQÀM durant mes enrichissantes années de bac. Cette prof toute menue, au discours pourtant bien portant, cette prof aux Doc Martens quelque peu usés, cette prof fascinante, parlant de Marguerite Duras, d'Annie Ernaux, de Christine Angot et de toutes ces écrivaines de la subversion, des féministes aussi, avec une passion retenue mais très visible, cette prof qui, en une session, m'a fait lire dix-sept livres à elle seule, et un nombre incalculable d'autres depuis.


      Cette fois, je me consacre à Blanc dehors, son tout dernier roman, où elle nous rend témoins de la marche de sa narratrice en pleine tempête : celle de sa naissance, celle de la quête de ses origines. Paternelles. À une époque où on portait obligatoirement et automatiquement le nom de son père, la narratrice n'a jamais porté le nom du sien. L'a à peine prononcé. Ne l'a même pas vu, cet homme.


Quête blanche sans preuve et sans mémoire
       Née en pleine tempête de neige, en décembre 1968, d'une « fille-mère » - c'est ainsi qu'on appelait les mères célibataires à l'époque, statut évidemment méprisé - la narratrice dit écrire, et avoir toujours écrit, pour remplir les blancs qui ont été laissés dans son histoire: « Peut-être que je n'ai jamais fait que ça, mettre des mots à l'endroit des blancs. » Puis, ce fragment se termine avec cette affirmation: « Il est parti pour que j'écrive. »

     Si la narratrice n'écrit ni dans ni de la maison du père, son père a toujours, tout de même, hanté sa maison de l'écriture.

     Au contraire de Hansel qui, dans le conte d'Andersen, laissait des cailloux derrière lui pour retrouver le chemin vers la maison, le père de la narratrice, lui, a laissé des blancs derrière lui, que la narratrice devait remplir non pas pour retrouver le chemin de la maison de son père, mais pour inventer l'histoire de sa vie: « Ma vie est un polar sans meurtres, sans détectives et sans victimes, un film mal castré et mal monté, un récit sans rien et sans fin. Ce n'est pas un récit d'enfance, c'est l'histoire de ce qui manque. » Malgré sa quête - et cette référence au récit policier - la narratrice ne se lance pas dans une enquête à l'image de celle menée dans un roman noir. Pour elle, tout, même les ruines, est composé de blanc.

      De toute manière, il ne reste pas de preuves de la présence de son père, de son existence. Pas de cailloux à suivre pour retrouver ses origines, seulement des blancs alimentant la tempête du vide qu'affronte la narratrice. La seule photo que sa mère avait de lui, elle l'a déchirée, lui avoue-t-elle presque avec regret, ce que la narratrice comprend avec sincérité.

       D'ailleurs, il m'est arrivé de ne pas saisir pourquoi la narratrice est aussi clémente avec sa mère, dont la mémoire est pleine de blancs par rapport à son histoire avec le père. Je ne comprenais pas pourquoi elle n'exigeait pas de sa mère de remplir les blancs de sa mémoire, les blancs de l'histoire de sa fille. La fille, bien qu'elle admette n'avoir jamais remercié sa mère de lui avoir donné la vie, décision qui ne la concernait pas, dit-elle, conçoit toutefois que sa propre souffrance soit ressentie aussi par sa mère:  « Ma mère aussi est la bâtarde de cette histoire, l'oubliée, l'abandonnée, l'innommable, celle qui n'est à sa place nulle part, le grain de sable dans les rouages de la vie ordinaire. »

         Le rapport mère-fille est décrit de manière touchante tout en restant relaté dans une certaine distance: celle de l'imperturbable solitude de l'enfant, souvent perturbé toutefois quand il est en quête de ses origines: « On dit que les enfants doivent apprendre à gérer leur peine. C'est ce qu'on dit quand on se place de haut et de loin, quand on veut tout sauf partager leurs larmes, quand on veut qu'ils apprennent à se débrouiller et qu'en retour, les enfants sont amenés à comprendre, trop tôt, combien ils seront seuls dans la vie. Pas solitaires. Tout simplement seuls. » C'est de cette lucidité qu'est animée la voix de la narratrice, et ce, malgré une palpable et sincère affection de la fille pour sa mère. De toute façon, il y a bel et bien une famille, et des hommes!, dans cette histoire. Mais il y a surtout de la solitude remplissant la maison. Et beaucoup de fantômes: « Et puis, je ne sais pas faire avec les fantômes, rien d'autre que les habiller de courants d'air et de mots. »


Marche dans la tempête
        La tempête qu'affronte la narratrice est celle de la lumière blanche, mais incertaine, que diffusent les fantômes, lumière aveuglante comme le trop-plein du vide, comme le récit impossible à écrire, la tempête de la page blanche: « C'est un rêve vide, un cauchemar blanc. » Car cette quête, cette tempête, c'est aussi celle de l'écriture: « J'ai peut-être refusé d'écrire ce récit, pendant toutes ces années, pour tenter de le garder intact, préserver le peu que j'avais de peur qu'en le racontant je le fasse disparaître pour toujours, à l'intérieur et à l'extérieur de moi, et que rien n'ait donc jamais existé. On fermerait le dossier et je perdrais à la fois l'histoire et le père que je me raconte pour combler le vide. Ces histoires inventées qui donnent un sens à ma vie. » La narratrice, pour terminer, poursuit sur cette lancée: « Je n'existe que quand j'écris, ou quand, pendant un moment, je sens le désir d'en finir puis l'urgence de survivre. »

     Sa pénible marche dans la tempête lui donne parfois envie d'abandonner, de se laisser mourir dans la neige, elle qui n'arrive pas à retracer les pas laissés derrière elle pour revenir à la maison; elle veut abandonner elle aussi, puis elle se relève: à défaut d'être munie de la force d'user de l'écriture comme d'une arme blanche, elle lance des mots tels des tirs à blanc. Ainsi, les mots projetés dans la tempête ne sont pas vains; ils servent à la narratrice à extérioriser sa quête, qui anime la tempête de son souffle impétueux. En extériorisant cette quête, c'est aussi un peu sa manière, je le suppose, de mettre son père à la porte, de le mettre dehors. D'être enfin l'investigatrice de la séparation. 




[i] Je vous invite à lire Casée en la demeure 2, ma nouvelle page de blogue, où j'élabore des réflexions intimes à partir de fictions anecdotiques: http://casee2.blogspot.ca/, qui sera mis en ligne d'ici quelques jours. 

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